INTRODUCTION

Evoquer les grenadiers de France, corps d’élite à la durée éphémère, c’est d’abord s’intéresser aux grenadiers. En France, la mémoire collective est indéniablement marquée par l’image des grenadiers de la garde impériale, ces grognards qui formèrent le dernier carré de fidèles de l’Empereur Napoléon 1er, cette garde qui "meurt et ne se rend pas" à Waterloo. Ces derniers sont néanmoins les héritiers d’une longue tradition de soldats d’élite nés au cours du XVII° siècle et dont le souvenir s’est en revanche estompé avec la disparition de cette subdivision des rangs de l’armée française.

Dans son dictionnaire militaire, François-Alexandre Aubert de LA CHESNAYE en donnait alors une définition assez sommaire : « c’est un soldat armé d’un bon sabre, d’un fusil & d’une bayonnette. Il est muni d’une gibecière pleine de grenades. » Il précise encore dans son article: « à la tête de chaque bataillon, il y a une compagnie de grenadiers… » et « Les grenadiers […] vont les premiers au feu & à la tranchée » 1.  grenadiers-de-france.jpeg

Le terme de grenadier fut évidemment employé à l'origine pour désigner des soldats spécialisés dans la mise en oeuvre des grenades. Ces premières grenades étaient constituées de simples sphères métalliques remplies de poudre et munies d'une mèche permettant leur mise à feu. Le lancer de ces grenades rudimentaires exigeait alors à la fois une bonne taille et la force nécessaire pour envoyer le projectile à une distance suffisante pour être épargné par son explosion. On le comprend aisément, la nécessité de rester immobile pour allumer les mèches puis ensuite lancer sa grenade au bon moment impliquait à la fois discipline et courage. C’est pour cette raison probablement que, tout en conservant leur spécificité, les unités de grenadiers constituèrent progressivement l’élite de l’infanterie.

Alors qu’il est déjà assez répandu dans d’autres armées européennes, en France, le grenadier ne devient officiellement un soldat à part qu’à la fin du XVIIe siècle. C’est en  1667 que sont reconnus pour la première fois en organisation 4 hommes par compagnie spécialement entraînés au lancement de la grenade à main et recevant l’appellation de grenadiers. Cette même année, une compagnie complète de ces grenadiers est également constituée au sein du Régiment du Roy.   C'est à partir de 1671 enfin que les régiments furent tous à leur tour dotés d'une compagnie par bataillon, pérennisant ainsi ce type d’unité pour plus d’un siècle. Au gré des réorganisations, les compagnies de grenadiers disparurent parfois, mais le principe d’une compagnie par bataillon présida généralement. Ce n’est cependant qu'au milieu du XVIIIe siècle que la volonté de les distinguer des autres unités amènera progressivement les colonels à leur faire porter le fameux bonnet à poil désormais attaché à la représentation que l’on se fait de ces soldats et que pérenniseront les grenadiers du premier Empire.

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 Extrait des mémoires d'Artillerie (Pierre Surirey de Saint Remy, chez Jean Anisson 1697)

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En tant qu’unité d’élite, les compagnies de grenadiers étaient naturellement régulièrement employées pour mener les « opérations spéciales » du temps, que ce soit pour « l’escalade » dans le cadre de l’assaut des places, ou bien pour l’exécution de coups de main. A titre d’exemple, citons le siège de FRIBOURG en 1744, au cours duquel 15 compagnies de grenadiers sont chargées d’enlever le bastion où l’on a fait la brèche pendant que 7 autres doivent s’emparer de la demi-lune. Citons également SAINT-GENIES  2, un théoricien de la « petite guerre », qui évoque la prise de la ville de HUY 3  dans la nuit du 20 au 21 août 1746 par le comte de LÖWENDAL placé à la tête d’ « un corps choisi de grenadiers », en l’occurrence une troupe constituée pour l’essentiel de 40 compagnies de grenadiers.

Grenades xviiie 1Grenades du XVIIIe siècle


Tout au long du XVIIIe siècle, le souci d’employer et de préserver au mieux cette ressource de soldats d’élite amène régulièrement le ministre de la guerre à légiférer sur leur emploi ou leur recrutement. Pour exploiter au mieux la qualité de ces hommes de guerre, une première réforme du comte d’ARGENSON, secrétaire d’état à la guerre de Louis XV depuis 1743, avait consisté à regrouper les compagnies de grenadiers des différents corps, et notamment des milices provinciales, à l’occasion des campagnes. Elles constituaient alors le corps des grenadiers Royaux initialement formé de 7 régiments (ordonnance du 10 avril 1745).  Ainsi, à l’issue des assemblées annuelles du temps de paix alors organisées durant un mois dans le but d’inspecter et d’exercer les bataillons de milice provinciale, les compagnies de grenadiers étaient regroupées pour former les bataillons de Grenadiers-Royaux au sein desquels elles étaient destinées à faire campagne. A la différence des fusiliers, et pour fidéliser cette élite, les grenadiers de la milice percevaient une solde permanente quoique modique 4. LA CHESNAYE explique le principe de ces rassemblements de même qu’il souligne l’excellence des grenadiers : « Grenadiers royaux :  c’est un corps formé des plus beaux et des plus courageux soldats tirés des régiments de milice, & qui dans la guerre finie en 1747 ont fait des prodiges de valeur. Ces grenadiers à la fin de la campagne rentrent dans leurs bataillons, & à l’entrée de la campagne suivante se rassemblent pour servir en corps ou en détachement sous les officiers qui les commandent. » 5

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Officier supérieur de grenadiers sous Louis XV.


Voici ce qu’écrit également plus tard le comte de LANGERON en 1758, confortant le souhait de maintenir dans la durée les qualités et la réputation attendues de cette subdivision de l’infanterie : « santé robuste, fermeté, humanité, valeur, intrépidité, intelligence ; voilà l’idée que je me forme d’un capitaine de grenadiers. Si elle est juste, on doit convenir que cette réunion ne se trouve que très rarement dans ceux que la longueur de l’âge place journellement à la tête des grenadiers ; il vaudrait autant les tirer au sort. Je désirerais que les capitaines de grenadiers fussent choisis parmi des colonels, des lieutenants-colonels et des commandants de bataillon tels que je les ay indiqués ; que leurs actions fussent récompensées par des louanges, des égards, des honneurs, des gratifications, et des pensions ; que les mauvais fussent punis à la rigueur. L’honneur de la nation est confié aux grenadiers, les grenadiers ne doivent connaître que l’honneur. Cette maxime de Salluste dont j’ai fait mon septime principe doit être dans leur cœur, et au lieu de l’inscrire sur leur bonnet, ils doivent forcer les autres à dire d’eux qu’ils ne craignent qu’une réputation honteuse. »  6

Pour souligner encore la qualité et la réputation des grenadiers, il faut citer le roi de Prusse Frédéric II: " Si le Dieu Mars se choisissait des gardes du coprs, il les tirerait des grenadiers français."

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Enfin, pour conclure sur l’esprit d’élite et l’ardeur au combat entretenus chez les grenadiers, nous devons bien entendu évoquer l’un d’entre eux, le comte d’ANTERROCHES, dont les paroles entrèrent à deux reprises dans la petite histoire. Une première fois lors de la bataille de FONTENOY en mai 1745, où le lieutenant de grenadiers aux Gardes Françaises qu’il était alors prononçait ce mot fameux « Messieurs les anglais, tirez les premiers ». Et deux ans plus tard, capitaine lors du siège de Maastricht où, alors que les assiégés défient les français de parvenir à s’emparer de la place, il se signale en leur répondant : « imprenable, ce mot n’est pas français ».

Le régiment des Grenadiers de France, premier régiment de grenadier réglé, c’est-à-dire permanent, se devait donc d’être une synthèse de toutes les qualités déployées par les grenadiers de l’infanterie française. Son organisation ainsi que l’attention portée à la désignation de ses officiers visèrent tout particulièrement à cet objectif. L’Encyclopédie y consacre d’ailleurs un article qui reflète fort bien l’effort qui fait pour y parvenir : « Le régiment des grenadiers de France depuis sa création, n’a pas eu jusqu’ici d’occasion de se signaler ; mais que ne doit-on pas attendre du mérite des officiers qui le commandent, de l’excellente discipline qui y regne, & de la qualité des hommes qui le composent ? »  7

Les espoirs fondés dans ce régiment se confirmeront au cours de la guerre de Sept ans qui lui donnera enfin l’occasion de se distinguer à partir de 1757, mais compte tenu du coût humain et financier qu’il représentait, le régiment ne résistera pas aux réformes entreprises en 1771 par le nouveau ministre de la guerre, le marquis de Monteynard.

 

Notes:

1- Dictionnaire militaire, portatif, contenant tous les termes propres a la guerre – Paris, 1763, François-Alexandre Aubert de La Chesnaye des Bois, article “Grenadiers”, p.280.
2- L’Officier Partisan, Jacques Ray de Saint Geniès, Paris, Delalain et Crapard, 1766, TII, p.88.

3- Au cours de la guerre de succession d’Autriche. La prise de HUY, située en pays de LIEGE, permettait de couper les communications ennemies entre Liège et Maastricht par la Meuse.
4- Le grenadier perçoit en effet 1 sol par jour, le décompte lui en étant fait lors de chaque assemblée.
5- La Chesnaye des Bois, Op. cit.
6- Mémoire sur l’infanterie, Comte de Langeron, janvier 1758, SHAT, mémoires techniques, carton VIII.
7- Encyclopédie, Diderot et d’Alembert, article de M. Durival le Jeune, Paris, 1751-1720, 1ere édition, tome 7.
 

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