Historique du corps des Grenadiers de France
LA CREATION
En 1748, la fin de la guerre de succession d’Autriche conclue par la Paix d’Aix La chapelle conduit le pouvoir royal à “réformer” c’est à dire à supprimer un grand nombre de corps et régiments devenus inutiles et surtout dont l’entretien était naturellement coûteux pour le trésor royal. Beaucoup d’officiers, mais également et en plus grand nombre, de bas-officiers et soldats, se retrouvèrent ainsi sans emploi. C’est dans ces circonstances que « le ministre de la guerre représenta au roi combien il était facheux de renvoyer dans leurs villages les quarante-huit compagnies de grenadiers des bataillons supprimés, qui avaient si bien servi pendant la guerre: il proposa donc à Sa Majesté de les conserver, en les réunissant en un seul corps sous le titre de Grenadiers de France, ce qui fut exécuté. » 1 Le 15 février 1749 est promulguée l'ordonnance ayant pour but de « continuer d’entretenir à son service des Troupes d’une espèce si précieuse à conserver» qui donne naissance au régiment des grenadiers de France.
Un mémorialiste du temps, Edmond Barbier, fait alors le commentaire suivant qui montre bien l’estime portée en général aux grenadiers: « Cela formera un corps redoutable » 2. Et, confirmant un peu plus tard l’attention portée d’emblée à la constitution de ce régiment d’élite, une circulaire du 20 mars 1750 précise les choses en ces termes : « C’est une distinction et un honneur que le Roy a voulu faire à ses grenadiers Royaux que de les admettre dans un corps tel que celui des grenadiers de France, formé de l’élite de ses troupes. S. M. doit faire venir à Compiègne son régiment de grenadiers de France, honneur qu’elle a destiné à ce seul corps, pendant le séjour qu’elle y doit faire. » 3
Le régiment des grenadiers de France est donc constitué à ARRAS au mois de février 1749 et prend initialement le n° 44 au sein de l’Infanterie. Ce rang peut paraître modeste à une époque très attachée aux marques de dignité et d’honneur, mais l’ordre de préséance était lié à l’ancienneté des et, pour cette même raison, était de nature intangible. Une ordonnance du 15 septembre 1750 lui attribuera ultérieurement le n° 40, mais sans pour autant bouleverser les préséances habituelles. Peu de temps après la constitution du régiment, le roi charge Pierre-Michel de Brosse, sous-lieutenant aux Gardes françaises, de l'instruire aux exercices et évolutions conçus parle brigadier des armées de bombelles et qui lui ont donné satisfaction.
Le colonel de VALLIER, initialement chargé de la mise sur pied du régiment, adressa l'épitre suivante aux grenadiers:
Romaine légion, troupe vraiment guerrière,
Qui sous les armes as blanchi,
Dont jamais la valeur n'a trouvé de barrière,
D'un habile ministre ouvrage réfléchi,
Vous étiez de vos corps et la force et la gloire,
Votre Roi vous unit, pour assurer vos coups...
Tout François est né pour la guerre ;
Le laboureur armé devient un fier soldat,
Du sein des voluptés le chef vole au combat,
Le coeur encor tout plein d'une tendre chimère,
Occupé de parure et du désir de plaire,
Entend-il la trompette ? il vit à son éclat ;
Son goût pour les plaisirs devient ardeur guerrière,
Il n'est sensible alors qu'au seul bien de l'Etat...
Le Ministre attentif aux intérêts du Maître,
Habile à bien peser les talens du guerrier
Aux héros qu'il conserve assure un nouvel être ...
Son coeur immole au bonheur de la terre
Tout ce qui peut flatter d'ambitieux projets ;
Mais quand on est aussi grand dans la guerre,
On est plus grand encore en conseillant la paix.
C'est initialement Louis Joseph de MONTCALM marquis de SAINT-VERAN, le fameux MONTCALM, alors colonel du régiment d'AUXERROIS infanterie réformé le 15 février, qui est pressenti pour prendre le commandement du régiment et accepte cet honneur. Cependant, celui-ci ayant peu de temps après reçu une commission de maréchal de camp d'un régiment de cavalerie nouvellement créé, le commandement des Grenadiers de France est en fin de compte confié au marquis de SAINT-PERN, lieutenant général qui s’était distingué au cours de la guerre de succession d’Autriche. Cet officier général, qualifié du titre d’Inspecteur-commandant, en conservera le commandement jusqu’à sa mort en 1761 à l’âge de 77 ans. Son unique successeur, le comte de CHOISEUL-STAINVILLE, lieutenant-général depuis 1760, qui avait fait ses premières armes comme colonel, général major puis feld-maréchal-lieutenant dans l’armée autrichienne avant de repasser au service de France en 1759 à l’armée d’Allemagne, sera nommé le 8 mars 1761.
Cet Inspecteur-commandant étant la plupart du temps appelé à de plus hautes responsabilités, notamment en campagne, un Major à brevet de colonel lui est donc attaché comme second. Il s’agit du comte de LANJAMET qui tiendra cette fonction jusqu’à sa nomination de maréchal de camp en 1761.
Le régiment est constitué de 4 brigades de 12 compagnies chacune, nombre qui ne variera jamais au cours de son existence, pour un effectif total de 2160 hommes. A titre de comparaison, les bataillons de grenadiers Royaux avaient au maximum 10 compagnies et les régiments d’infanterie réglée pouvaient avoir jusqu’à 5 bataillons dont l’effectif varia de 12 à 17 compagnies.
A sa création, le régiment n’est donc pas constitué de nouvelles compagnies levées à cette fin, mais regroupe bien 48 compagnies de grenadiers expérimentées issues de corps réformés:
- Royal-Lorrain, Royal-Barrois, Royal-Wallon, Boufflers et La Marine fournirent chacun 2 compagnies ;
- Picardie, Champagne, Piémont, Navarre et Normandie fournirent leur 5° compagnie ;
- Poitou, Lyonnais, Montboissier, Touraine, Anjou, Custine, Montmorin, Ségur, La Reine, Limousin, Royal-Vaisseaux, la Couronne, Gardes lorrains, Royal et Dauphin, leur 3° compagnie ;
- Des compagnies de Vexin, Aunis, Beauce, Dauphiné, Vivarais, Luxembourg, Bassigny, Beaujolais, Des Cars, Fleury, Agenois, La Tour d’Auvergne, Gâtinais, Santerre et Landes ;
- Boulonnais, Brie et Ponthieu fournirent leur 2° compagnie.
A chaque fois, comme le stipulait l’ordonnance de création du corps, ces compagnies durent rejoindre avec leurs officiers, bas-officiers et grenadiers. Toutefois, « dans la vuë de laisser une liberté entiere aux Capitaines, dont les Compagnies se sont trouvées avoir été tirées des Régimens qui sont conservés, [Sa Majesté] a bien voulu leur donner un an & un jour, qui a commencé au premier Avril 1749 pendant lequel temps ils ont été maîtres de quitter leur Compagnie pour rentrer dans leur ancien Corps, & y prendre une Compagnie de Grenadiers, s’il y en vaquoit, ou une Compagnie de Factionnaires, […] ; mais après ledit an & jour expirés, ils n’ont plus été libres de retourner à leur ancien Corps. »
La création des grenadiers de France est indéniablement une réussite et le régiment fut très vite réputé pour ses qualités, notamment de discipline. Ses officiers le soulignent d’ailleurs naturellement dans leurs propos : « le temps de mon service aux Grenadiers de France étant arrivé, je me rendis à Arras, où je passais trois mois, très régulièrement occupé de tout ce qui pouvait avoir trait à mon service; car, dans les premiers temps de la formation de ce corps, entièrement composé d’anciens militaires, la rigidité de M. de Saint-Pern et de ses adjoints y [avait] établi et y [maintenait] une discipline très-exacte...» 4
Les officiers sont également bien conscients de leur appartenance à une unité d’élite : « La plus grande exactitude à mes devoirs militaires m’avait concilié la bienveillance et l’estime des anciens officiers qui composaient la tête de ce corps d’élite.» 5 Venant d’un de ses membres, cet avis pourrait naturellement être sujet à caution, mais les propos d’autres officiers qui les côtoient en campagne le confirment amplement: « C’est le plus beau corps et le plus sage de l’armée…» 6 écrivait en février 1760 un officier des Carabiniers, régiment alors également considéré comme un corps d’élite.
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1- Mémoires autographes de M. le prince de Montbarey:ministre secrétaire d'état au Département de la guerre sous Louis XVI, Paris, Alexis Eymery & Rousseau, 1826, Tome 1, p.89.
2- Journal d’un avocat de Paris, Edmond Jean François Barbier, Clermont-Ferrand, éd. Paleo, 2004-2006.
3- Les guerres sous Louis XV, Comte PAJOL.
4- Mémoires autographes de M. le prince de Montbarey…Op. cit., Tome 1, p.91.
5- Mémoires autographes de M. le prince de Montbarey…Op. cit., Tome 1, p.132.
6- Lettres du baron de Castelnau, officier de carabiniers, 1728-1793, par le baron de Blaÿ de Gaïx, Adamant Media Corporation, 2005, p.149.
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Major des Grenadiers de France
(Aquarelle d'après un tableau de l'époque - Revue de la Sabretache)
LES PRIVILEGES DES GRENADIERS DE FRANCE
Dès sa création, et pour souligner le caractère exceptionnel de ce corps, un certain nombre d’avantages et de particularismes distinguent le régiment. Une situation que les différentes ordonnances relative aux grenadiers de France maintiendront jusqu’à sa réforme.
L’aspect le plus manifeste de cette spécificité du régiment réside sans nul doute dans le recrutement et le nombre de ses colonels qui mérite donc une attention particulière. Mais le recrutement des grenadiers et la solde sont aussi l’objet d’un traitement particulier qui méritera un développement spécifique.
Soulignons en outre qu’un certain nombre de règles particulières appliquées dans le cadre du service en campagne ou du service de garnison sont aussi la marque de l’attention systématiquement portée au régiment par le Roi et son ministre de la guerre. Notons par exemple l’Ordonnance du 1er mars 1768 portant règlement pour le service militaire dans les places et dans les quartiers :
« 28. Lorsque le corps des grenadiers de France se trouvera dans une place, il ne montera jamais la garde que par compagnie, et il ne fournira jamais plus de six compagnies pour la garde, hors les cas de guerre ou de siège, dans lesquels il se conformera à tout ce que le commandant de la place lui prescrira pour le service de Sa Majesté.
29. toutes les fois que le corps des grenadiers de France se trouvera dans une place, il sera assigné des postes séparés aux compagnies de ce corps, sans se mêler avec les grenadiers des autres régimens, et dans aucun cas avec les fusiliers.
30. les fourriers, sergens et caporaux du corps des grenadiers de France, feront toujours cercle à part pour recevoir l’ordre et le mot.
31. ce corps ne fournira point de travailleurs, et ne fera point de corvées, à moins qu’il ne soit seul. »
Ce dernier point faisait l'objet d'une préoccupation particulière au point que peu après la réforme du régiment en 1771, un certain nombre de grenadiers de France versés dans les régiments provinciaux furent rappelés pour constituer en octobre 1771 deux compagnies de grenadier royaux à Saint-Denis et en vue de les soustraire aux travaux de campagne auxquels ces régiments les auraient conduits.
Ces privilèges seront également soulignés par la responsabilité de garde d’honneur du quartier général qui lui est confiée tout au long de la guerre de Sept ans.
Enfin, le caractère de troupe d’élite du régiment aura pour conséquence principale de conserver à chaque fois que possible le régiment comme réserve de l’armée et si, à l’exception d’HASTEMBECK et MINDEN, il sera rarement employé en première ligne au début des combats, il est régulièrement engagé pour des coups de main ou bien en arrière-garde, notamment lorsqu’il faut couvrir une retraite.
Caisse de tambour du régiment des grenadiers de France
(vendu en 2019 par Hermann-Historica)
LES OFFICIERS
Une originalité majeure du régiment à sa création, maintenue pendant toute la durée de son existence, tient donc dans le nombre étonnamment important d’officiers supérieurs du corps. En effet, la création de ce régiment a aussi été un moyen de conserver au service un certain nombre de colonels et lieutenants-colonels dont le régiment avait été réformé. Cette spécificité, parfois décriée, constituera malgré tout un avantage reconnu : « Le corps des grenadiers de France, recruté parmi les soldats et sous-officiers licenciés à la paix, étoit surtout un cadre pour un grand nombre d'officiers supérieurs prêts à être employés si la guerre venoit recommencer. On en tira grand parti dans la guerre de sept ans. » 1
Pour un certain nombre d’entre eux, notamment les colonels, le service aux grenadiers de France ne fut cependant qu’un passage dans l’attente de l’obtention d’un régiment et, de ce fait, y servirent à peine quelques mois.
Néanmoins, un tel régiment destiné à constituer l’élite de l’infanterie ne pouvait être encadré uniquement par de jeunes officiers ayant obtenu leur brevet par protection. Ainsi, malgré son ouverture importante à ce recrutement que l’on pourrait appeler « de position » ou « de naissance », le régiment comportera toujours beaucoup d’officiers chevronnés dont un certain nombre d’officiers de fortune 2. Le marquis de Saint-Pern écrivait ainsi le 18 avril 1759 : « Vous sentez bien que pour conduire un corps aussi nerveux que celui des grenadiers de France, il faut des officiers-majors qui aient de la barbe au menton. » 3
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1- Mémoires et journal inédit du marquis d’Argenson, Ministre des affaires étrangères sous Louis XV, publiés et annotés par M. le marquis d’Argenson, Paris, Gallanar, 1857, T. III, p. 344.
2- C’est-à-dire des officiers de métier en général issus de la petite noblesse ou roturiers.
3- Cité dans Les grenadiers de France à Nancy-1752, Carnet de la Sabretache – décembre 1893.
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LES COLONELS
Initialement de 16, le nombre de colonels, particulièrement inhabituel, sera rapidement porté à 20 puis 24. « 1749 – Le 21 mars, le Roi déclara, à Versailles, la promotion des colonels. Les trente régiments y furent donnés, et, de plus, on nomma seize colonels au nouveau corps des Grenadiers de France. » 1
Parmi les colonels, il faut distinguer le Major, ayant brevet de colonel, qui à partir de 1756 prendra le nom de Commandant en second, puis en 1762 de Colonel-commandant. C’est lui qui exerce la plupart du temps le commandement effectif du régiment, le chef du Corps étant souvent mis à la tête de la division des grenadiers de France et Royaux.
Les autres colonels « à la suite » ou « attachés » au régiment sont initialement au nombre de 16, élevé à 20 le 30 mai 1752, et s’élèveront ensuite jusqu’à 24. Ils sont la plupart du temps choisis parmi les fils de la plus haute noblesse du royaume et, de ce fait, les liens familiaux entre eux sont fréquents de même que les liens avec la cour sont assez nombreux. Citons par exemple les colonels de MONTBARREY et de COISLIN qui sont beaux-frères, Jean-Laurent de DURFORT-CIVRAC et Renaud César de CHOISEUL-PRASLIN idem, Guy Joseph de DONISSAN également beau-frère de Jean-Laurent de DURFORT-CIVRAC, Louis Joseph Augustin de MAILLY-RUBEMPRE, Claude Antoine d’AVARAY et Charles-Georges-René CAMBOUT de COISLIN, tous trois beaux-frères également, Pons Simon Frédéric de PIERRE de BERNIS et Anne Joachim de NARBONNE-PELET, beaux-frères encore ; et citons les deux GENLIS qui sont frères. Pour illustrer la proximité de ces officiers avec la Cour, notons que le comte de Brancas est le gendre du maréchal de LOWENDAL et soulignons que la femme du marquis de CAMBOUT de COISLIN ainsi que celle du marquis de MONTMELAS furent des maîtresses officielles du roi Louis XV. Le rang social de ces colonels se manifeste également par le nombre d’entre eux qui commencèrent leur service dans les mousquetaires.2 Enfin, relevons parmi eux une dizaine de membres de familles ducales.
La nomination comme colonel aux grenadiers de France a ainsi très tôt revêtu le caractère d’une haute distinction comme le rappelle l’un d’entre eux, le marquis de La Fayette, père du héros de l’indépendance américaine : « Un homme de mon nom n’est pas obligé d’être riche, mais il est décent qu’il soit placé comme il doit être et la place aux grenadiers lui ouvre le chemin. »3
En guise d’illustration supplémentaire, voici encore deux témoignages de ce qu’une nomination de colonel aux Grenadiers de France était éminemment considérée :
« ce 7 février 1763.
Je VOUS fais mon compliment, Monsieur, et du meilleur de mon cœur. M. vostre fils vient de me mander qu'il est colonel dans les grenadiers de France, et est party sur le champ pour Versailles ; M. de Maupeou me charge de vous en témoigner la part qu'il y prend. C'est d'autant plus agréable qu'il ne vous en coûtera rien. Vous devés connoitre combien nous nous intéressons à tout ce qui vous regarde, et l'inviolable attachement avec lequel je suis etc. » (Lettre d’Anne-Victoire de Lamoignon, femme de René-Charles de Maupeou, ancien Premier président du Parlement de Paris et futur Chancelier de France, au marquis de Jovyac).
« Versailles, le 4 mars 1763.
J'ay été fort aise, Monsieur, de voir M. vôtre fils entrer dans le corps des Grenadiers de France. Il seroit difficile dans les circonstances présentes d'obtenir un régiment; mais l'employ qu'il vient de recevoir luy donne le grade de colonel ; Il se trouve à portée de faire son chemin comme s'il avoit un régiment. Je vous prie, etc. » (Lettre de M. de Lamoignon, Chancelier de France, au marquis de Jovyac).
Comme le voulait l’usage de l’époque, un bon nombre d’entre eux reçurent leur nomination de colonel aux Grenadiers de France entre 15 et 20 ans, constituant ce que l’on appelait alors vulgairement les « colonels à la bavette ». Le vicomte Renaud-César-Louis de CHOISEUL-PRASLIN, par exemple, n’a que 14 ans lors de sa nomination. Mais il faut néanmoins souligner que le passage aux Grenadiers de France de ces très jeunes officiers pouvait avoir un véritable rôle de formation à une époque où n’existait pas de véritable académie militaire.
Le Prince de MONTBARREY, qui faisait partie de ces jeunes colonels, explique d’ailleurs dans ses mémoires le rôle donné au régiment des grenadiers de France pour cette catégorie d’officiers : « C’était une troupe d’élite qui devait servir d’école militaire aux jeunes gens qui, par leur naissance ou les services de leurs pères, avaient prétention à obtenir le brevet de colonel et qui cependant se trouvaient trop jeunes pour qu’on pût leur confier l’administration en chef d’un régiment. Pour remplir cet objet avec utilité, Sa Majesté fit choix pour commandant en chef de ce corps, du marquis de Saint-Pern, ancien lieutenant-général, homme de bonne maison, de la province de Bretagne, militaire vertueux, brave, exact, et que l'on jugea capable de présider à l’éducation militaire des jeunes gens que l’on se proposait de mettre sous ses ordres. Il eut pour adjoint, avec titre de major-commandant en second, le comte de Lanjamet, maréchal de camp, qui, après avoir servi dans le régiment du Roi, infanterie, avait été colonel, pendant la guerre, du régiment de Gâtinois, l’un de ceux qui se trouvèrent dans le cas d’être réformés à la paix.
[…] parmi les seize colonels qui furent attachés à ce corps, les premiers furent pris parmi les colonels dont on avait réformé les régimens; ils furent au nombre de huit, et nous fûmes huit jeunes colonels, qui en avaient obtenu le brevet, sans avoir commandé de corps en chef, qui complètâmes le nombre de seize.” 4
« La partie militaire de notre éducation était parfaitement bien montée. C’est avec vérité que je peux dire que, pendant le premier trimestre que je servis aux Grenadiers de France, j’acquis les véritables principes du métier auquel je me destinais pour ma vie. » 5
De surcroit, n’oublions pas qu’un certain nombre de ces jeunes colonels étaient entrés au service entre 13 et 16 ans. Ainsi, à leur entrée aux grenadiers de France en 1749, certains ont donc déjà fait toutes les campagnes de la guerre de succession d’Autriche : le marquis de JUIGNE, par exemple, a 22 ans mais sert aux mousquetaires depuis l’âge de 15 ans ; le comte de PUYSEGUR en a 23, mais sert comme enseigne au régiment de VEXIN depuis l’âge de 13 ans, de même que le marquis de VAUBECOURT qui est quant à lui enseigne au régiment de Dauphiné depuis l’âge de 14 ans.
Par ailleurs, si le cas particulier des colonels des grenadiers de France est sans aucun doute symptomatique du mal qui affecte l’armée dans ce milieu du XVIII° siècle et conduira aux réformes successives de CHOISEUL puis SAINT-GERMAIN, n’oublions pas que 3 d’entre eux furent tués au combat pendant la guerre de Sept ans et que la plupart firent une véritable carrière militaire. La caractéristique du régiment est donc bien que s’y côtoient officiers de fortune, hobereaux et officiers issus de la petite noblesse, aussi bien que grands aristocrates.
Initialement, et compte tenu de leur effectif, les colonels ne furent donc astreints au service de commandant de Brigade qu’à tour de rôle, par période de 3 mois en temps de paix, les jeunes étant naturellement toujours sous la coupe d’un colonel ancien : « à l’exception des trimestres forcés de mon service aux Grenadiers de France et de quelques petits voyages en Franche-Comté, je demeurai presque toujours à Paris…” 6 « Les quatre colonels vivaient ensemble, et avaient, entre eux quatre, une table de douze couverts, où ils invitaient à volonté les officiers du corps ou autres. Le respect que l’âge de M. de Saint-Pern inspirait, et l’exemple des anciens colonels réformés, dont il y avait toujours au moins un à la tête de chaque trimestre, y entretenait la décence.» 7
Lors de la guerre de Sept ans, la disponibilité de ces nombreux colonels entraînera donc la prise d’une disposition particulière: par une succession d’ordonnances les régiments de Grenadiers-Royaux reçurent ainsi comme commandant en second un colonel des Grenadiers de France, et parmi ceux qui ne pouvaient être conservés au corps, un certain nombre reçurent des fonctions d’état-major. LE COURTOIS de SURLAVILLE, par exemple, fut au cours de la guerre de Sept ans aide-major général de l’Infanterie puis aide-maréchal général des logis. A la réforme de 1762 (ordonnance du 21 décembre) consécutive à la fin de la guerre, les colonels des brigades seront supprimés. Les colonels n’exerçant donc plus de fonction de commandement et ne sont ainsi plus considérés qu’ « à la suite » du corps.
Compte tenu de la notoriété et la dignité qui y sont attachées, la nomination aux Grenadiers de France a naturellement constitué d’emblée pour le roi un moyen de gratification. Pour cette raison, expliquant notamment l’accroissement de l’effectif des colonels, le Roi de France ira même jusqu’à distribuer des « bons » de Colonel aux grenadiers de France valant nomination à la vacance d’une place, comme en témoigne le comte d’Argenson dans ses mémoires :
« 18 avril. 1754 — L'on donne pour dot de mariage des commissions de colonels à ces courtisans ; l'on vient d'en donner une au jeune Lafayette pour épouser Mlle de la Rivière, et l'on m'assure qu'il y a quatre autres pareilles commissions in petto, le tout pour être officiers dans les compagnies des grenadiers de France, de sorte qu'il y a présentement trente colonels attachés à ce corps. » 8
« 1 décembre.1754 — cependant l'on met les affaires en grand désordre par des faveurs indiscrètes; l'on donne chaque jour des grâces expectatives : il y a onze bons pour les commissions de colonels dans les grenadiers de France, quatre bons pour des guidons de gendarmerie, etc. » 9
Malgré l’honneur que constitue donc la fonction ou le statut de colonel des grenadiers de France, la plupart d’entre eux les quittent lorsqu’ils obtiennent un régiment, quelques-uns une promotion au grade de maréchal de camp. Parmi les 120 colonels recensés dans cette étude, si l’on excepte les 16 qui obtiennent un régiment lors de la réforme de 1771, 60 d’entre eux en ont en effet obtenu un lors de leur passage aux grenadiers de France. Notons toutefois à ce propos ce que dit en 1752 le duc de LUYNES sur les conditions qui entourent l’obtention d’un régiment : « J'ai marqué la mort de M. de Coliandre, … M. de Coliandre étoit colonel d'un régiment bleu (Royal- Piémont). Ces régiments se payent 100.000 francs ; celui- ci est destiné pour quelqu'un des colonels dans les grenadiers de France, qui sera remplacé on ne sait pas encore par qui ; mais le régiment ne sera payé que 67.500 livres, qui serviront à rembourser trois régiments de cavalerie de 22.500 livres chacun, en suivant le projet qu'a donné M. d'Argenson de mettre le Roi à portée de donner tous les régiments gratis. »
« J'ai appris depuis que c'est M. de Gamaches, gendre de M. le maréchal de la Mothe, qui paye les 67.500 livres du régiment Royal-Piémont; il n'est pas le plus ancien dans les grenadiers de France; mais ses anciens n'ont pas voulu donner cette somme. M. de Gamaches ne pourra vendre que 67.500 livres le régiment, lorsqu'il sera fait maréchal de camp. » 10
De ce fait, un certain nombre de ces colonels ne serviront donc que quelques mois aux grenadiers de France. Mais soulignons tout de même quelques colonels dont la longévité au régiment fut hors du commun:
- au moins 9 ans pour le comte Charles-François de BROGLIE, le marquis de RUFFEC, le marquis du CAMBOUT de COISLIN, le comte de CHABANNES, le vicomte de CHOISEUL-PRASLIN et le marquis de JUIGNE ;
- 10 ans pour le marquis de LA FAYETTE et le comte de LANNOY ;
- plus de 10 ans pour Charles Louis TESTU de BALINCOURT ;
- environ 12 ans pour le comte de CAYEUX et le comte de MAULDE ;
- environ 19 ans pour le comte de GENLIS.
Signalons aussi parmi les colonels, ceux qui entrèrent aux grenadiers de France comme officier subalterne et gravirent les échelons jusqu’à ce grade:
- François Pons de BRUYERES qui fut successivement capitaine, Major, lieutenant-colonel puis colonel ;
- Agathon de KERALIO, capitaine, aide major puis major, avant d’être colonel.
- Achille LE COURTOIS de SURLAVILLE, d’abord aide-major.
S’il fallait souligner encore l’origine sociale et la qualité des colonels des grenadiers de France, relevons que 4 seront ultérieurement ministres, 14 sont ou seront pairs de France et 78 seront officiers généraux.
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1- Journal inédit du duc de Croÿ (1718-1784), d'après le manuscrit autographe conservé à la Bibliothèque de l'Institut, par Le Vicomte de GROUCHY et Paul COTTIN.
2- Au moins 17 d’entre eux servent en effet aux mousquetaires avant d’obtenir une place aux grenadiers de France.
3- Lettre du marquis de La Fayette citée par Etienne Taillemite dans « LA FAYETTE » Fayard Paris 1989, Chap. 1.
4- Mémoires autographes de M. le prince de Montbarey…Op. cit., Tome 1, p.89.
5- Ibidem, Tome 1, p.93.
6- Ibidem, Tome 1, p.109.
7- Ibidem, Tome 1, p.92.
8- Journal et mémoires du marquis d’Argenson, E. J. B. Ratliery Pour la Société de l'Histoire de France, Paris, chez Mme Ve Jules Renouard, 1865, éd. GALLANAR, T.V (1753-1755).
9- Ibidem.
10- MÉMOIRES DU DUC DE LUYNES
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LES LIEUTENANT-COLONELS
Le régiment a initialement droit à 8 lieutenants-colonels, chaque Brigade accueillant donc deux lieutenant-colonel, pour un service de six mois chacun.
Au fur et à mesure de l’extinction de ce sureffectif initial, le régiment n’en conservera cependant que 4 assurant désormais un service permanent.
Leur remplacement éventuel se fait par des Capitaines choisis dans l’ordre de l’ancienneté.
Monsieur de Marassé, Capitaine aux grenadiers de France
(Aquarelle de Carmontelle- Château de Chantilly)
LES CAPITAINES
Chez les capitaines, il faut distinguer les Aide-major, chargés de de la formation et de l’instruction des Brigades en temps de paix, du service et de la discipline en temps de guerre, et les commandants de compagnie. A partir de 1756, il faudra également distinguer les Major ou Sergent-major établis par une nouvelle ordonnance.
Si les Aide-major sont choisis parmi les lieutenants et prennent rang de capitaine le jour de leur nomination, en principe les Majors sont quant à eux choisi parmi les capitaines de compagnie.
Chacune des quarante-huit compagnies est commandée par un capitaine. A la différence des compagnies des autres régiments, celles-ci appartenaient au Roi et ne pouvaient donc ni s’acheter ni se vendre. Le capitaine n’étant pas propriétaire de sa compagnie, n’était pas non plus responsable de son recrutement, gardant ainsi le régiment des nombreux vices que ce système entraînait couramment vis à vis du recrutement comme de la tenue de la compagnie.
À une époque marquée par la vénalité des emplois et à laquelle, outre l’achat d’une compagnie, son entretien et le maintien d’un effectif complet était suffisamment coûteux pour nécessiter d’être un minimum fortuné, cette particularité est un véritable privilège. Mais elle permis notamment aux grenadiers de France de conserver à la tête des compagnies des officiers de petite noblesse et des officiers de fortune expérimentés, garantissant ainsi les qualités militaires du corps. Il reste qu’un capitaine doit tout de même, outre son fourniment, se procurer et entretenir un équipage (cheval, mulets…) qui représente tout de même des frais conséquents.
A la vacance d’une compagnie, la nomination d’un capitaine se faisait alternativement parmi les capitaines des troupes réglées ayant au moins deux ans de commission de capitaine et parmi les lieutenants du régiment dans l’ordre d’ancienneté.
A noter que les 4 capitaines les plus anciens du régiment avaient habituellement une commission de lieutenant-colonel, ce qui leur permettait par exemple de commander un bataillon lors des détachements nombreux constitués lors des campagnes.
Pierre de Surirey de Saint Remy, capitaine aux Grenadiers de France en 1759
LES LIEUTENANTS
Le capitaine est appuyé dans son commandement par un lieutenant et un lieutenant en second ou sous-lieutenant. Il était souvent d’usage que si l’un des deux lieutenants était un jeune issu des meilleures familles, l’autre était en revanche plutôt un soldat de métier ou de fortune parvenu à ce grade par son mérite et ses services.
Si l’on en croit Vial de Clairbois, qui a servi comme officier aux Grenadiers de France, le lieutenant était la plupart du temps l’officier de métier, le sous-lieutenant venant apprendre le métier avant d’acquérir une compagnie : « Dans les grenadiers de France, tous les lieutenants étaient officiers de fortune et les sous-lieutenants gens de condition. Le marquis de Saint Pern, qui avait formé ce corps, mettait plus de soin à maintenir la subordination de ces derniers aux lieutenants qu’aux capitaines même. » 1
A partir de 1765, un certain nombre de lieutenants recevront dans leur brigade la fonction nouvellement constituée de sous-aide-major.
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1- Encyclopédie méthodique de la Marine, Vial de Clairbois, 1783.
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LES CADETS OU VOLONTAIRES
Comme dans le reste de l’armée, des élèves officiers sont engagés dès leur plus jeune âge, autour de 13 ans en général, dans l’attente de briguer un brevet d’enseigne ou sous-lieutenant. Leur famille devant en principe pourvoir à leur entretien.
LE RECRUTEMENT
Particularisme supplémentaire du régiment au sein de l’armée royale : son recrutement. Comme on l’a vu supra, les compagnies de grenadiers de France appartenaient au Roi. Ainsi, le recrutement des soldats n’incombait donc pas aux capitaines, à la différence du reste de l’armée où, jusqu’à l’ordonnance du 10 décembre 1762, chaque capitaine est responsable du recrutement de ses hommes et doit en rendre des comptes notamment lors des inspections. Jusqu’en 1762, le recrutement du régiment est ainsi issu exclusivement des compagnies de grenadiers des bataillons des milices provinciales du royaume qui devaient donc fournir un contingent annuel de recrues fixé par ordonnance.
En effet, autant le recrutement initial effectué lors de la constitution du régiment en avait garanti la qualité, autant il fallait songer à maintenir celle-ci dans la durée. Estimant qu’on ne pouvait avoir de meilleur recrutement qu’en engageant des grenadiers issus de la milice (Grenadiers-Royaux), il fut constitué le 8 août 1749 une masse annuelle de 8000 livres destinée à financer les primes de recrutement nécessaires. Ce financement permet en théorie d’assurer le renouvellement de 266 grenadiers par an, ce qui assure le renouvellement si nécessaire de l’ensemble du régiment tous les 6,5 ans. Comme dans le reste de l’armée royale, chaque recrue doit en effet s’engager pour six ans, le capitaine des grenadiers de France lui versant une prime d'engagement de 30 livres, prime qui lui était payée pour moitié lorsqu’il quittait sa province, et pour moitié à l'arrivée au corps. Les rengagements étaient naturellement admis, la prime pour les rengagés étant également de 30 livres, abaissée à 20 livres pour ceux qui se rengageaient après une interruption d’un an et un jour. A l’issue d’une éventuelle interruption de service, le grenadier reprenait toutefois son rang d'ancienneté dans sa compagnie d’origine, ce qui constituait un privilège attractif.
Les Grenadiers-Royaux constituent donc un dépôt de recrues pour le régiment des grenadiers de France, et le recrutement est organisé et réglé chaque année par une ordonnance. Ainsi, l’ordonnance du 1er janvier 1750 prescrit de libérer la plus ancienne classe de milice et de lever avant le 1er mars les hommes nécessaires pour recompléter les bataillons de grenadiers Royaux. Chacun de ces bataillons devant ensuite fournir au cours de l’année 22 hommes aux grenadiers de France. L’ordonnance de l’année suivante (1er février 1751) fixe l’objectif à 21 hommes et celle de 1752 (1er janvier) à 30. Le 1er janvier 1753, l’ordonnance habituelle sur la milice reproduit les dispositions des années précédentes.
Par l’ordonnance du 1er mai 1757, promulguée en vue de la campagne d’Allemagne, les modalités de recrutement sont modifiées en le limitant aux grenadiers postiches des Grenadiers-Royaux de façon à ne pas dégarnir ces derniers qui vont être engagés dans la campagne. Ces soldats postiches, c’est-à-dire de remplacement, choisis parmi les meilleurs fusiliers de la milice pour entrer aux grenadiers, attendaient une place et y faisaient parfois le service à titre de complément. Les grenadiers de France prennent ainsi les hommes formant la tête de ces compagnies jusqu'au centre, les hautes payes exceptées. La seconde moitié constituant le recrutement des Grenadiers-Royaux. Le grenadier postiche ne passait cependant aux grenadiers de France que pour la campagne et sans prime d’engagement ; en revanche si, après la campagne, il s’engageait pour y rester, il pouvait alors recevoir alors la prime de 30 livres.
Le recrutement ne se limitait néanmoins pas qu’aux grenadiers Royaux et des engagements directs étaient semble-t-il monnaie courante. Avec semble-t-il quelques inconvénients si l’on en croit le général Bardin qui écrit en effet à l’article « Déserteur » de son dictionnaire: « la fureur de la désertion avait sa source dans […] la facilité qu’avaient les beaux hommes à se faire admettre dans les grenadiers de France. » 1
En 1762, à l’issue de la guerre de Sept ans dans le même esprit que celui qui avait présidé à la création du régiment, les régiments réformés versent leurs grenadiers et leurs soldats de haute-paye aux grenadiers de France (ordonnance du 25 novembre 1762). La paix entraînant également la dissolution des milices et des Grenadiers-Royaux, l’ordonnance du 21 décembre 1762 instaure donc un nouveau recrutement en provenance de l’ensemble des compagnies de grenadiers des régiments d’infanterie française, y compris celles affectés au service de la marine ou aux colonies, à tour de rôle et par ordre d’ancienneté des corps.
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1- Dictionnaire de l’armée de Terre, Général Etienne Alexandre Bardin, Paris, Perrotin, 1841.
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EMBLEME
A la création du régiment, chaque brigade reçoit 1 drapeau, d’un modèle unique :
Croix blanche chargée des armes de France ; quartiers 1 et 3 blanc semés de grenades bleues à flammes rouges, au 2 et 4 bleus azur semés de fleurs de lys d’or.
Les brigades perdront leur drapeau lorsque le régiment deviendra Corps des grenadiers de France.
Drapeau d'ordonnance des Grenadiers de France
(Drapeaux de l'Infanterie, règnes de Louis XV et Louis XVI, Bibliothèque du musée de l'armée, ex-A1J19)
ORGANISATION ET REORGANISATIONS SUCCESSIVES
Ordonnance du 15 février 1749 :
Le régiment est organisé en 4 brigades de 12 compagnies chacune.
Les deux premières brigades sont commandées alternativement par 4 colonels du rang de brigadier. Les deux autres sont commandées par des non brigadier.
Chaque Compagnie est composée de 3 officiers et 45 hommes : 1 Capitaine, 1 Lieutenant, 1 Lieutenant en second, 2 Sergents, 3 Caporaux, 3 Anspessades, 36 Grenadiers, et 1 Tambour.
A la création, une exception concerne les compagnies qui proviennent de Royal Lorraine & Royal Barrois, qui sont autorisées à conserver le Capitaine en second et les trois Sergents dont elles disposent, jusqu’à ce que ce sureffectif s’éteigne naturellement avec leur départ.
L’organisation générale du régiment est la suivante :
Etat-major :
- 1 inspecteur commandant
- 1 major
- 16 colonels, dont 4 en permanence ;
- 8 lieutenants-colonels, destinés à rester à 4 après leur extinction, dont 4 en permanence ;
- 4 aides-majors
- 4 enseignes
- 1 tambour major
- 1 fifre
Compagnies :
- 48 capitaines
- 48 lieutenants
- 48 lieutenants en second
- 96 sergents à 2 par compagnie
- 144 anspessades à 3 par compagnie
- 48 tambours
- 1728 grenadiers à 36 par compagnie
Soit au total 2160 hommes constituant 4 brigades de 545 hommes chacune.
Parmi ce nombre, il faut comprendre 1 sergent, 1 caporal et 11 grenadiers entretenus dans chacune des quatre brigades qui constituent 52 hommes ayant la dénomination de charpentiers.
Ordonnance du 30 mai 1752:
Porte le nombre de colonels à 20.
Extrait du « Mercure de France » : « Le Roi ayant jugé à propos d’augmenter de quatre le nombre des Colonels attachés au Régiment des Grenadiers de France, Sa Majesté a disposé de ces quatre nouvelles places de Colonels en faveur du Comte de Brancas, Capitaine dans le Régiment Royal-Roussilllon, Cavalerie ; des Marquis du Roure & de Chatillon, Mousquetaires de la Première Compagnie ; & du Comte de Talleyrand, Lieutenant Réformé à la suite du Régiment de Cavalerie de son nom. »
Ordonnance du 8 Juillet 1756 :
Le Major prend l’appellation de Commandement en second.
L’état-major de chaque brigade se voit renforcé d’un sergent-major. Il est donc constitué d’un sergent-major et d’un aide-major ; les places de sergent-major étant « remplies par les aide-majors actuels, avec les honneurs et prérogatives attribués aux majors de l’infanterie ».
Ordonnance du 1er mai 1757:
Edictée pour la campagne d’Allemagne, cette ordonnance donne au marquis de SAINT-PERN, inspecteur et commandant des Grenadiers de France, les mêmes attributions sur quatre régiments de grenadiers-Royaux, pour qu'ils « n'eussent qu'un même esprit, une même discipline et un même service. » Néanmoins, l'état-major des Grenadiers de France ne peut en aucune façon s’ingérer dans le détail intérieur des grenadiers-Royaux. Dès le 19 mars, un colonel aux Grenadiers de France avait été attaché comme colonel en second à chacun des régiments de CHANTILLY, MODENE, BERGERET et AULAN. Ces colonels en second ne pouvaient cependant s'occuper des détails intérieurs, ou donner des ordres sur le service journalier des régiments de grenadiers-Royaux qu'en l’absence des colonels titulaires.
Au cours de cette guerre de Sept ans, une ordonnance fut rendue pratiquement chaque année pour désigner des colonels des Grenadiers de France comme commandant en second des régiments de grenadiers Royaux. Ce sont celles des 15 mars 1759 et 25 mars 1760 pour dix régiments, du 20 février 1761 pour neuf régiments et du 23 mars 1762 pour sept régiments. Citons par exemple le comte de BETHISY qui fait toute la campagne de 1762 comme commandant en second des grenadiers-Royaux de CAMBIS et en prit le commandement le 9 août après la blessure de M. de CAMBIS.
Ordonnance du 6 octobre 1759 :
Suppression des Majors de Brigade.
Création d’un Major et un Aide-Major pour le Corps et, par brigade, d’un Aide Major et un sous-Aide Major.
Ordonnance du 21 décembre 1762:
Cette ordonnance intervient dans le cadre de la réforme qui suit la paix.
Outre une modification importante de la couleur distinctive de l’uniforme, cette ordonnance donne au régiment le nom de « corps des grenadiers de France » et institue les dispositions suivantes :
- suppression les drapeaux de brigade ;
- suppression des colonels des brigades;
- maintien d’un Lieutenant-colonel et un 1 major pour 2 brigades ;
- passage de la compagnie à 3 officiers 52 hommes comme dans le reste de l’Infanterie ;
- Etat-major constitué de : 1 COL, 1 COL-commandant, 2 LCL, 2 majors, 4 aides-majors, 4 sous-aides-majors, 1 trésorier, 1 quartier-maître, 1 aumônier, 1 chirurgien ;
- Par ailleurs est constituée une musique avec 1 tambour-major et 12 musiciens, (3 bassons, 3 hautbois, 3 clarinettes et 3 cors de chasse).
Ordonnance du 16 mars 1766 :
Ordonnance réglant le service des colonels attachés au Corps des Grenadiers de France. Ils doivent y servir du 1er juin au 1 septembre, sans dispense possible sauf permission expresse de Sa Majesté.
LA SOLDE DES GRENADIERS
Marque de considération et mesure contribuant à conserver ces soldats au service, les grenadiers bénéficièrent d'une solde plus avantageuse que le reste de l'infanterie.
Comme élément de référence et à titre de comparaison, retenons que le salaire mensuel d’un ouvrier non spécialisé au XVIII° siècle avoisinait les 200 livres par an, soit environ 12 sols par jour ouvré (La vie quotidienne des français sous Louis XV, Guy Chaussinand-Nogaret, Hachette).
Sur la solde étaient en principe retenus ensuite les frais de linge, chaussures, blanchissage et les frais de ration.
1749
Inspecteur commandant : 666 livres 13 sols 4 deniers par mois, outre ses appointements d’Inspecteur ;
Colonels Brigadiers : 500 livres par mois de service soit 1500 livres par an ;
Colonels non Brigadiers : 300 livres par mois de service, soit 900 livres par an ;
Lieutenant-Colonel : 250 livres par mois de service, soit 1500 livres par an ;
Major : 400 livres par mois ;
Aides-Majors : 150 livres par mois;
Enseignes : 26 livres 15 sols par mois ;
Tambour Major & Fifre : 20 livres par mois ;
Capitaines : 5 livres par jour, outre les 200 livres de gratification des capitaines de compagnie de grenadiers ;
Lieutenants : 34 sols 10 deniers, par jour, y compris 2 sols 10 deniers de supplément ;
Lieutenants en second : 20 sols par jour;
Capitaines en second (Compagnies de Royal Lorraine & Royal Barrois) : 3 livres par jour.
Masses : 20 deniers pour chaque Sergent, et 10 deniers pour les grenadiers
1761
Inspecteur commandant : 21 livres 7 sols 9 deniers par jour, dont 10 livres 5 sols 6 deniers de supplément;
Major commandant en second : 12 livres 10 sols, dont 9 livres 3 sols 4 deniers de supplément à chaque colonel destiné à servir audit corps, et huit livres sept sols quatre deniers de supplément ;
Colonels: 9 livres 3 sols 4 deniers en supplément de la solde de capitaine;
Lieutenant-Colonel : 7 livres 10 sols, dont 5 livres 16 sols 8 deniers de supplément;
Aides-Majors : 2 livres 16 sols 8 deniers, dont 2 livres 10 sols 8 deniers de supplément ;
Enseignes : 13 sols, dont 22 sols de supplément ;
Capitaines : 6 livres 15 sols par jour, y compris 5 livres 19 sols 10 deniers de supplément, tant pour ses appointements que pour lui tenir lieu des cinq paies de gratification dont jouissent les capitaines de grenadier des régiments d’infanterie française, leur compagnie étant complète ;
Lieutenants : 30 sols, par jour, dont 22 sols de supplément ;
Lieutenants en second : 20 sols par jour dont 14 sols de supplément ;
Aumônier et chirurgien : 20 sols.
Tambour Major et fifre: 10 sols 4 deniers;
Sergents-majors : 4 livres 10 sols , dont trois livres dix-huit sols de supplément
Sergent : 7 sols 4 deniers par jour, dont un sol quatre deniers de supplément
Caporal : 5 sols 8 deniers par jour, dont 1 sol 11 deniers de supplément
Anspessade : 4 sols 8 deniers par jour, y compris 1 sol 2 deniers de supplément ;
Grenadier et tambour : 3 sols 8 deniers par jour, dont 8 deniers de supplément.
Supplément de solde aux charpentiers (1 sergent, 1 caporal et 11 grenadiers) :
Sergent : 2 sols
Caporal : 1 sol 6 deniers
Grenadier : 1 sol.
L’ordonnance de 1761 précise également le détail des rations en pain de munition accordées en campagne à l’état-major :
A l’inspecteur-commandant en chef, vingt-quatre rations par jour,
Au commandant en second du corps, dix-huit rations,
A chaque colonel attaché au corps qui servira en campagne, seize rations par jour,
A chaque lieutenant-colonel, dix rations,
A chacun des quatre sergens-majors, six rations,
A chacun des quatre aides-majors, quatre rations,
Au tambour-major & au fifre desdits grenadiers de France, chacun une ration.
Billet d'habillement pouvant être délivré à un grenadier de France.
Ces billets étaient délivrés aux anciens militaires pensionnés qui, après 24 ans de services, pouvaient bénéficier d'un habit tout les six ans.
1762
Par l’ordonnance du 21 décembre 1762, « Sa Majesté voulant en même tems donner à ce corps, qui sera composé de la plus précieuse partie de ses troupes, des marques de sa satisfaction », les sergents, caporaux, fourriers, appointés, grenadiers et tambours des Grenadiers de France continuent à recevoir une solde supérieure à celle des grenadiers des régiments d’infanterie.
Le tableau comparatif ci-dessous présente le détail par grade de l’avantage à servir chez les grenadiers en 1762:
GRADES SOLDES DE PAIX SOLDES DE GUERRE
Grenadiers Fusiliers Grenadiers Fusiliers
par an par an
Capitaine……………………………… 2.000 1.500 3.000 2.400
Lieutenant……………………………. 900 600 1.200 1.000
Sous-lieutenant…………………… 600 540 900 800
Sergent……………………………….. 222 201 228 210
Fourrier……………………………….. 180 162 186 168
Caporal……………………………….. 156 138 162 144
Appointé…………………………….. 188 120 144 126
Grenadier, fusilier, tambour. 120 102 126 108
CAMPAGNES & SERVICE
La courte existence des Grenadiers de France limite ses campagnes aux opérations successives de la Guerre de Sept ans en Allemagne :
1757: Hastembeck, Hanovre;
1758: Crefeld, Bork, Froweiler, Munster;
1759: Minden (Todtenhausen);
1760: Homberg, Sakenhausen, Göttingen;
1761: Duderstadt (Heiligenstadt), Willingshausen;
1762: Grebenstein (Cassel), Johannisberg.
Si une bataille est emblématique des grenadiers de France, parce qu’elle a marqué cette guerre de Sept ans et ses contemporains, mais aussi parce qu’elle a consacré les qualités du régiment, c’est MINDEN. Certes, cette bataille est un désastre et l’emploi de cette troupe d’élite par le comte de Saint-Pern fut manifestement déplorable, mais la discipline et la tenue au feu des grenadiers de France qui y éprouvèrent de terribles pertes établirent définitivement leur renommée.
Pour consacrer celle-ci, citons Charles Emmanuel III qui, pendant la guerre de 7 ans, tenais ce propos : « Je puis vanter les chasseurs et les grenadiers de mon régiment d’Aoste autant que l’impératrice Marie-Thérèse ses chasseurs tyroliens,Frédéric de Prusse ses cavaliers Hessois et louis XV les fameux grenadiers de France. »
Planche tirée de "Recueil de toutes les troupes qui forment les armées françaises"
Edition Gabriel Nicolas RASPE à Nuremberg, 1761.
LA REFORME DU CORPS
Le marquis de Monteynard, ministre de la guerre depuis le mois de janvier 1771, fait signer le 4 août une ordonnance ayant pour but de réorganiser et redonner de l’éclat aux milices provinciales.
Par cette ordonnance, les milices constituent désormais 47 régiments provinciaux et 11 régiments de grenadiers-Royaux sont remis sur pied. Un certain nombre de régiments sont donc réformés pour contribuer à relever ces nouveaux régiments. Le principe de recrutement des Grenadiers de France semblait peser de plus en plus sur les régiments, mais le coût d’entretien de son important état-major et de ses colonels était aussi un inconvénient, ce qui finit par conduire le corps à être également réformé.
L’ordonnance de 1771 est ainsi introduite par le propos suivant : « SA MAJESTE s’étant fait rendre compte des inconvéniens qui naissent de la forme dont le corps des Grenadiers de France est recruté, de la surcharge que cette forme occasionne à l’Infanterie françoise, & de la difficulté de le maintenir sur le pied de sa composition, Elle a jugé à propos de supprimer ce corps. »
Mais il semble aussi à cette époque que les qualités, notamment en matière de discipline, qui l’essentiel du temps distinguèrent le corps des grenadiers de France, tendaient à disparaître et qu’un certain nombre de reproches lui étaient faits depuis quelques années. C’est ce qui ressort en effet des mémoires du prince de MONTBARREY, mais d’autres sources semblent aussi en témoigner comme les mémoires du lieutenant général de police DURIVAL : « Les Grenadiers de France eux-mêmes, choyés du Gouvernement qui, par ordonnance du 21 décembre 1762 leur accorda une solde supérieure à celle des régiments d’infanterie, turbulents et indisciplinés, abandonnaient leurs corps au moindre mécontentement. Ecoutons le subdélégué et lieutenant général de police de Nancy : « — 24 mai 1765. Grande rumeur parmi les Grenadiers a l'occasion de 3 livres 10 sols qu'on voulait leur retenir sur leur décompte ; menaces, lettre insolente écrite a M. de Stainville : qu'ils ont plus d'amis que lui a la cour de France. Ils avaient mis a quelques casernes : maison à louer, et le coup de la retraite etait pour eux le signal de la générale. La retenue n'a pas eu lieu. — 29 mai. Hier matin il déserta deux grenadiers ; cette nuit autant. Le mécontentement subsiste. Toute la maréchaussée et plusieurs détachements sont aux environs, et le tout en vain. — 8 juillet. Les 1 ère et 3e brigades des Grenadiers de France sont parties a trois heures et demie du matin. II y a encore eu de la désertion (Journal de Durival).» 1
Le comportement de plusieurs compagnies à la fin de la campagne de 1762 avait par ailleurs déjà fortement entaché la réputation du corps et, selon MERCUROYL de BEAULIEU, le maintien des Grenadiers de France après 1762 et depuis ses manifestations d’indiscipline n’aurait été dû qu’au fait que le comte de STAINVILLE était le frère du Ministre CHOISEUL : « et comme il étoit d'une charge considérable à toute l'infanterie françoise , que, de plus, il y régnoit un grand vice d'indiscipline, lorsque M. le duc de Choiseul, qui avoit comblé ce corps de prérogatives, fut renvoyé du ministère, au mois de décembre 1770, — son frère, le comte de Stainville , aujourd'hui le maréchal de Choiseul, en étant le chef— le corps des grenadiers de France fut réformé dans les premiers mois de l'année suivante. » 2
Toutefois, témoignant de la persistance de la réputation générale du régiment, il est à noter que, même à l’étranger, la dissolution des Grenadiers de France eut un certain retentissement :
« Paris, August 5, 1771.
« New arrets, new retrenchments, new misery, stalk forth every day. The Parliament of Besancon is dissolved; so are the grenadiers de France. The King's tradesmen are all bankrupt; no pensions are paid, and everybody is reforming their suppers and equipages. Despotism makes converts faster than ever Christianity did. Louis Quinze is the true rex Christianissimus, and has ten times more success than his dragooning great-grandfather.» 3
Cette réforme ne se fait néanmoins pas sans quelques compensations, marques nécessaires de l’attention portée par le souverain à ce corps d’élite :
Pour les nominations d’officier par exemple, on donna un temps la préférence aux Grenadiers de France :
- 22 anciens colonels se voient confier un des régiments provinciaux nouvellement créés;
- 4 officiers du corps sont également nommés colonel d’un de ces régiments provinciaux ;
- 96 officiers obtiennent un emploi dans ces mêmes régiments ;
- 15 sergents, choisis parmi les meilleurs, y sont nommés lieutenant.
Ainsi, il semble que seuls 25 officiers restèrent sans emploi à l’issue de leur réforme.
Les officiers n’ayant pas rejoint les régiments Provinciaux sur les lieux d’assemblée prévus la veille de l’arrivée de la troupe furent néanmoins considérés comme démissionnaires et leurs emplois furent redistribués l’hiver suivant. Les sous-aides majors (emploi créé en 1765 et supprimés par l’ordonnance du 4 aout 1771) prirent des emplois de lieutenant ou lieutenant en second en fonction de leur ancienneté.
Pour les grenadiers, et comme compensation à la suppression, furent également établi des chevrons, témoignage de l'ancienneté de service et signe d'un droit à la haute paye. Le chevron simple s'obtenait pour huit ans de service, le chevron double pour seize ans, le triple chevron pour vingt-quatre ans, pour les bas-officiers comme pour les caporaux et les soldats. Outre les hautes-payes de vétéran, les anciens militaires du corps des Grenadiers de France reçoivent une solde de dispersement et ceux incorporés dans les régiments provinciaux reçoivent une solde quotidienne de 5 sous.
Enfin, tous les grenadiers comptant seize ans de services et des infirmités purent opter entre l’admission aux Invalides et la demi-solde dans leurs foyers, quand ceux qui comptaient 24 ans de services et des infirmités pouvaient opter entre l’admission aux Invalides et la solde entière.
Ainsi, l’ordonnance du 4 août 1771 stipule que le personnel non officier est classé en 5 catégories qui déterminent leur devenir :
Première classe :
« Ceux qui ont été tirés des régimens actuellement sur pied, lesquels seront renvoyés aux compagnies de grenadiers de leurs anciens régimens, pour y finir le temps de l’engagement ou rengagement qu’ils ont contracté au corps des Grenadiers de France. »
Deuxième classe :
« ceux dont les engagemens ou rengagemens seront expirés ou prêts à expirer, n’ayant pas une année entière à finir dudit engagement à dater du jour de la suppression de ce Corps, lesquels auront la liberté de rentrer dans leur ancien corps, ou de se retirer chez eux. »
« Ceux au surplus de cette seconde classe, qui se retireront chez eux, auront la liberté de rentrer dans leur ancien corps, avant les six mois, à dater du jour de la suppression du Corps, ils y reprendront leur rang dans les compagnies de Grenadiers ; mais ce temps de six mois étant expiré, ils ne seront plus admis que comme recrue dans les Troupes de Sa Majesté. »
Pour ces deux classes,
« jouiront à leur arrivée à leur ancien corps, des hautes-payes & marques distinctives dont leurs services les rendront susceptibles, en conséquence de l’Ordonnance du 16 avril dernier.
Ceux au contraire dont les congés seront expirés ou prêts à l’être, ainsi qu’il a été expliqué ci-dessus, & qui préféreront de se retirer chez eux, ayant vingt-quatre ans de services sans interruption & dans le même régiment, (leur service dans les Grenadiers de France devant être regardé comme une continuité de service dans le même corps) y jouiront de la solde entière de leur grade, s’ils y ont servi pendant huit ans, à ce défaut ils ne pourront recevoir que la solde du grade inférieur & ceux qui après avoir servi seize ans, & qui se trouveront par des infirmités ou des blessures, dans l’impossibilité absolue de continuer leurs services dans leur ancien régiment, seront renvoyés chez eux, pour y jouir de la demi-solde, s’ils la préfèrent à l’hôtel des Invalides.
Lesdits bas Officiers, Grenadiers & Tambours qui obtiendront la solde entière, auront tous les six ans un habit de l’uniforme des Grenadiers de France, lequel ne sera délivré que tous les huit ans à ceux qui ne jouiront que de la demi-solde. »
Troisième classe :
« ceux dont les régimens ont été supprimés & l’intention de Sa Majesté est qu’ils soient envoyés dans les régimens de Grenadiers-royaux de leur province, pour y finir le temps de leur engagement, ainsi que ceux compris dans les deux classes suivantes ».
Quatrième classe :
« ceux qui n’étoient attachés à aucun Corps, quand ils se sont engagés dans les Grenadiers de France, lesquels seront aussi envoyés dans les régimens de Grenadiers-royaux de leur province »
Cinquième classe :
« ceux qui ont été tirés des Grenadiers-royaux, lesquels rentreront dans les régimens de Grenadiers-royaux de leur province »
Pour ces trois dernières classes :
« [ceux] qui desireront se retirer chez eux, ayant vingt-quatre ans de service, [seront] également admis à jouir des avantages accordés par l’Ordonnance du 16 avril dernier, il en sera de même de ceux qui, après seize ans de service, auront des infirmités qui les mettront dans la nécessité de recevoir leur retraite chez eux, ou l’hôtel des Invalides.
Sa Majesté entend aussi que tous ceux qui auront ordre de passer dans les régimens de Grenadiers-royaux, & qui seront dans le cas de jouir d’une haute-paye, y soient payés de celle qui leur sera réglée lors de la suppression du corps des Grenadiers de France, en conséquence de l’ancienneté de leurs services, & conformément à l’Ordonnance du 16 avril dernier ; son intention est en même temps, que cette haute-paye ne soit susceptible d’aucune progression pendant la paix, mais elle leur sera payée pendant toute l’année, soit que lesdits régimens soient assemblés, soit que les Grenadiers soient renvoyés dans leurs paroisses : Sa Majesté entend même qu’ils portent sur leur habit, les marques distinctives que l’ancienneté de leurs services leur aura procurées & que ceux qui auront acquis la vétérance, emportent chez eux l’habit qui leur sera fourni aux régimens de Grenadiers-royaux ; Sa Majesté se réservant au surplus de leur régler, à l’échéance de leur engagement, la solde dont ils devront jouir s’ils se retirent chez eux, & d’accorder les Invalides à ceux qui seront dans le cas de mériter cette grâce. »
Par ailleurs, « SA MAJESTE voulant donner à ce régiment un témoignage de satisfaction qu’Elle a des services qu’il lui a rendus en toutes occasions », tous les bas officiers et grenadiers bénéficient des avantages et distinctions accordés à une partie de ses troupes et, en attendant que les officiers soient pourvus d’un nouvel emploi, les gratifie de la façon suivante :
- Le Colonel-inspecteur conserve son traitement en entier de 20 000 livres.
- Le Colonel-commandant, 6000 livres.
- Les Lieutenant-colonel, 3000 livres.
- Les Majors, 2400 livres.
- Les 15 premiers Capitaines ayant rang de Colonel, 1800 livres.
- Les Capitaines ayant rang de Lieutenant-colonel, 1500 livres.
- Les Capitaines ayant rang de rang de Major, 1200 livres.
- Les quinze premiers Capitaines, n’ayant pas de grade supérieur, 1000 livres.
- Les quinze Capitaines qui suivent, 800 livres.
- Les quinze Capitaines, 600 livres.
- Les Aides-major & Lieutenants ayant rang de Capitaine, 600 livres.
- Les Lieutenants & Sous-aide-major, issus du rang et ayant au moins dix ans de service d’Officier, 450 livres.
- Ceux n’ayant pas cette ancienneté, 360 livres.
- Les Sous-lieutenants & le Quartier-maître, issus du rang et ayant au moins dix ans de service d’Officier, 360 livres.
- Les Sous-lieutenants issus de l’Ecole royale militaire, 360 livres.
- Et ceux des Sous-lieutenants, issus du rang et n’ayant pas dix ans d’Officier, 270 livres.
1- La milice en Lorraine au XVIII° siècle, Pierre Boyé, Mémoires de l’Académie Stanislas 1903-1904, Nancy, Berger-Levrault, 1904, p. 246.
2- Campagnes de Jacques de Mercoyrol de Beaulieu, capitaine au régiment de Picardie (1743-1763), Paris, Renouard, 1915, p.384.
3- Letters of Horace Walpole - Volume II London T. Fisher Unwin, Paternoster square, New York: G.P. Putnam's sons, 1890.
UNE BREVE RESURRECTION
La disparition des grenadiers de France ne signa naturellement pas celle des grenadiers et le souvenir du corps resta assez longtemps dans les esprits. L’Empire reconstitua des régiments de Grenadiers, au sein la Garde Impériale notamment, mais c’est la fin de l’Empire qui fit brièvement renaître l’appellation de corps des grenadiers de France.
En effet, par une ordonnance du 12 mai 1814, les 1er et 2e régiments de Grenadiers de la Vieille Garde et le régiment de Fusiliers-grenadiers de la Jeune garde (moins les volontaires du bataillon de l'Ile d'Elbe) de l’ex-garde impériale constituent le « Corps royal des grenadiers de France » et le « Corps royal des Chasseurs à pied de France ».
Le Corps royal des grenadiers de France est envoyé en garnison à METZ et le Maréchal Oudinot devient son chef de corps. Néanmoins, son ralliement à l’Empereur lors des 100 jours lui vaut de disparaître en 1815, enterrant cette fois définitivement l’appellation de « grenadiers de France ».
LA VIE DE GARNISON
ARRAS
Créés à ARRAS et réformés au HAVRE, les grenadiers de France furent cependant longtemps attachés à la garnison de NANCY, comme en témoigne la liste des garnisons successives et des périodes qu’ils y passèrent.
Son départ d'ARRAS donna lieu à un chant qui obtint un grand succès sur l'air de "la marche du roi":
Grenadiers de France de renom, Il faut changer de garnison Suivant les ordres de Bourbon. Préparez-vous, dressez vos pas ; En quittant la ville d'Arras Vous allez changer de climat.
Quittant le beau pays d'Artois, Vous allez au pays au bois Où l'on se chauffe à son choix. Vous quittez le pays au grain Pour aller au pays au vin, Cela raccourcit le chemin.
En quittant Arras de renom, Où se fit votre création,
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Faut changer d'inclination : L'on quitte parens et amis Pour servir le grand Roy Louis, Et l'on suit l'ordre qui le dit...
Adieu tous mes beaux corps de garde, Adieu la jolie promenade, La citadelle et l'esplanade ; Adieu les allées des soupirs, Où nous promenions à plaisir Pour contenter nos désirs.
Adieu beau quartier de renom, Adieu remparts et bastions, Adieu les jolis environs, Dainville, Achicourt et Agny, Beaurains,
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Tilloy, Athies, Feuchy, Adieu Saint-Laurent et Blangy ;
Adieu jolies hôtelleries Où nous sommes tant diverti, Buvant la bière et l'eau-de-vie. Adieu, places, rues et carrefours Où nous promenions chaque jour Adieu noble ville d'Arras, Adieu le plus brillant Etat, Pour cultiver le tendre amour. Adieu Conseil, adieu Saint-Vaast, Adieu aimable Etat-Major De qui, j'avons tous le suport. Pour Nancy faut faire tous nos efforts. |
NANCY : 18 septembre 1752
La première arrivée du régiment à NANCY est ainsi annoncée à la ville par les bureaux de M. de la Galaizière: Lunéville, 14 septembre 1752 : « J’ai l’honneur, Monsieur, de vous donner avis que le Régiment des Grenadiers de France est destiné par la cour à remplacer en votre ville le Régiment du Roy et que le premier y arrivera, savoir : les 1re et 3e brigades le 18 du présent mois et les 2e et 4e le 20 suivant. Le bien du service exige de vous que vous ayez attention à ce que tout soit préparé pour le recevoir les jours de l’arrivée et je vous prie de vouloir bien donner vos soins à cet effet. » signé HOULLIER 2
Une note accompagnant ce courrier précise par ailleurs quelques détails relatifs au logement qui illustrent les mœurs du temps et dont certains sont savoureux. Il est à noter que les conditions particulières de logement des lieutenants-colonels et colonels qui peuvent nous paraître modestes sont liées aux conditions particulières de leur service semestriel pour les premiers et trimestriel pour les seconds.
« - M. le marquis de Saint-Pern, lieutenant-général : une maison propre à donner à manger à 25 personnes.
- M. le comte de Lanjamet, brigadier : une maison propre à donner à manger et de quoi établir son bureau.
- Quatre colonels qui vivent ensemble : une maison où l’un de ces messieurs puisse loger et un emplacement à donner à manger à 25 personnes, et au cas qu’il n’y ait de logement que pour un ou deux, des logements devant être à portée pour les autres.
- Quatre lieutenants-colonels : de même ; on se contentera d’emplacements moins grands.
- Quatre aides-majors chargés chacun du détail de leurs brigades : il faudrait une petite chambre ou vestibule propre à assembler les sergents, une chambre et un cabinet.
- Vingt-quatre capitaines de grenadiers : nous désirons que dans le nombre de ces logements il y en ait un propre à M. L. qui aura madame avec lui ; alors il faudrait une cuisine.
- Soixante-douze lieutenants, un lieutenant en second : nous désirons que dans le nombre des logements, il s’en trouve cinq ou six propres à faire ordinaire, un lieutenant de fortune n’étant pas en état de se mettre à l’auberge.
- Quatre enseignes et douze cadets : s’il était possible de les loger dans la même maison.
- Un chirurgien major
- Un aide-major.
- 960 lits pour les sergents ou grenadiers : à raison de 20 lits par compagnie, ce qui n’est que pour 40 hommes, au lieu de 45 à quoi se monte le complet.
- Un logement pour le tambour-major.
- Un logement pour le fifre-major.
- 24 logements pour les blanchisseuses ; ou autres femmes du régiment.
- Une salle d’armes et une de danse ; s’il est possible. » 3
Pour ces logements, la ville a ainsi dû louer par exemple la maison de Mme de Viray pour 850 livres, celle de M.de Bressey à l’intention des colonels pour 434 livres, celle de M. de Morry pour 400 livres, et celle de M. Thomas Michel dont 2 étages sont déjà occupés par des officiers.
- CAMP DE DIEPPE : avril 1756 1 – bal à ROUEN en 57
- NANCY : 1756.
Pendant la guerre de Sept ans, de 1757 à 1762, le régiment prend en général ses quartiers d’hiver avec le quartier général de l’armée d’Allemagne (hiver 1758-1759 : HILDESHEIM ? ; 1759-1760 : FRANCFORT ; 1760-1761 :CASSEL ?; 1761-1762 : ?).
A l’issue de la guerre de Sept ans, le régiment de retour d’Allemagne est renvoyé tenir garnison à NANCY, sa première division y arrivant le 20 décembre 1762.
L’ordonnance de 1762 ayant institué une musique du corps des Grenadiers de France, celle-ci participe naturellement aux événements de la ville. Elle est ainsi présente par exemple à la procession de la Fête Dieu de 1764, ce qui vaut aux grenadiers–musiciens une rémunération de 62 livres 6 sous (le double des musiciens civils), elle participe encore à la procession de l’assomption organisée le 15 août 1766 par la primatiale des chanoines .4
Le 16 janvier 1763, les 2 compagnies d’invalides qui occupaient la citadelle cèdent la place aux grenadiers de France qui sont donc probablement pour la première fois logés dans un casernement militaire, mais une partie du régiment est sans doute resté logé chez l’habitant.
Le 1er juillet 1765, les 4 brigades du régiment sont réunies pour un dernier exercice devant la ville de Nancy. Le 9 juillet, les 1re et 3ème brigades quittent la ville à 3h30 du matin pour rejoindre leur nouvelle garnison. Elles sont suivies le 11 par les deux autres brigades qui prennent la route à leur tour. Dans son journal, Durival note qu'un certain nombre de désertions se produisent à la veille de ce départ.
ARRAS : 1765-1767
Gazette de Paris
25 juillet 1765 : le comte de Stainville présente au Roi les officiers du corps des grenadiers de France.
En août 1765 : la ville d’ARRAS qui a deux régiments se plaint qu’on lui en retire un, au prétexte qu’un bataillon devant armer la citadelle, le reste ne suffirait pas au service de la place. Ayant envoyé une députation à la Cour, elle obtient du duc de CHOISEUL le maintien des grenadiers de France qui présente l’avantage d’être constitué de plus de bataillons que le régiment d’infanterie.
En 1765, le gouverneur d'Artois, François-Gaston, marquis de LÉVIS inspecte la garnison d’Arras et visite les casernes. Il écrit : « Arras, le 15 novembre 1765 […] Les grenadiers de France seront fort bien établis ; Mrs les officiers ne sont pas a proportion aussi bien que les grenadiers […] il y en a quelques uns dans de vieux pavillons […] les grenadiers de France et les deux Regiments de Cavalerie tiennent icy un tres grand emplacement parcequ'ils ne couchent que deux a deux contre l'ordinaire de l'infanterie qui est de coucher trois a trois . Quant au chauffage, les troupes sont très mal en Artois… » .5
NANCY 1768
A Nancy, les casernes royales Sainte-Catherine, aujourd'hui dénommées Caserne Thiry, furent construites à leur intention et les grenadiers de France en prirent possession le 18 juillet 1768, deux années après la réunion de la Lorraine à la France. Cette construction initiée le 25 octobre 1763 par un arrêt du Conseil des Finances du roi Stanislas, devait permettre de loger 4000 hommes de troupe. La première pierre en avait été posée le 14 juillet 1764 mais, quand les grenadiers de France emménagèrent, les bâtiments n’étaient pas encore totalement achevés.
En voici une description sommaire : «Les casernes sont composées de trois beaux corps de bâtiments doubles; deux de 15 croisées et un de 19, fermés par un canal. Il y a un très beau hangard pour les exercices, des lavoirs, et autres commodités pour les troupes».6
La construction de ces casernes eut un coût élevé. Si le roi Stanislas contribua à hauteur de 71.000 livres, l’entreprise s’élevait à la somme considérable pour l’époque de plus d'un demi-million. La Ville de Nancy contribua successivement en 1764 pour 100.000 livres de France, en 1765 de nouveau pour 100.000 livres de France, puis encore pour 150.000 livres de Lorraine dont 30.000 pour le logement du concierge, de l'entrepreneur, des fournitures, du hallier pour l'exercice à couvert, des petites écuries et remises derrière les grands bâtiments. Le surplus fut consacré au payement des murs de clôture et pour les indemnités de terrains, ainsi que pour les ouvriers de la ville ayant participé aux travaux. Pour boucler l’opération, il fallut procéder en 1767 à une imposition de 200.000 livres de France sur les villes et communautés de Lorraine et Barrois.
Ces casernes servaient néanmoins exclusivement au logement de la troupe, les officiers continuant à vivre en ville selon l’usage du temps et comme en attestent d’ailleurs les archives de Nancy : « 1768…- Location d’une partie de l’hôtel de Mme Héré, sur la Carrière, pour y loger le comte d’Audich, colonel-commandant du corps des grenadiers de France. – Etat des colonels dont le logement est payé en argent : le comte de Lanoy, le comte de Chabanes, le chevalier de Talleyrand, le comte de Genlis, le marquis de Crillon.» 7
En garnison, le régiment des grenadiers de France, comme le reste de l’armée royale, mène une vie rythmée par le service de place et l’instruction. Ponctuellement, il participe aux revues organisées à l’occasion de la visite de personnages de marque ainsi qu’aux grands camps qui, en général une fois par an, permettent de réunir une partie de l’armée pour conduire des manœuvres d’envergure en présence du ministre et parfois du souverain. Ces revues ou manœuvres sont également l’occasion de conduire des expérimentations plus ou moins heureuses, les idées en matière de tactique foisonnant à cette époque.
Si l’on en croit le témoignage du jeune colonel de Montbarrey, l’instruction conduite au sein du régiment des grenadiers de France était prise avec sérieux par les officiers: « La plus grande exactitude à mes devoirs militaires m’avait concilié la bienveillance et l’estime des anciens officiers qui composaient la tête de ce corps d’élite. […] J’employai ces trois mois de présence au corps à me procurer toutes les connaissances relatives au métier de la guerre, et à faire moi-même mon éducation militaire dans toutes les parties que les circonstances où je m’étais trouvé m’avaient forcé de négliger. » 8
La première inspection par le marquis d’Argenson, intervient quelques mois après la création du régiment à la mi-juillet 1749 et, dès l’année suivante, lors du séjour du roi à Compiègne, celui-ci fait venir le régiment afin de l’honorer au cours d’une revue et souligner ainsi l’attention qu’il lui porte. Cette revue donnée en présence également du ministre, le marquis d’Argenson, et du prince de Croÿ, est aussi l’occasion d’une de ces expérimentations qui, comme souvent, ne remporte pas tous les suffrages :
« Juillet 1750. - Mon frère a été fort brillant, fort caressé du roi, à la revue des Grenadiers de France. Cette troupe de deux mille cinq cents hommes a paru un ouvrage de montre, et quasi bonne à rien. Un habillement singulier, d'un drap gros bleu, avec des bonnets qui leur offusquent le visage, une compagnie de travailleurs habillés en licteurs romains*, leur exercice singulier et ridicule copiant maussadement l'exercice prussien. Le maréchal de Saxe et M. de Lowendhal sont venus examiner cette troupe, et y ont donné des louanges affectées qui tournoient ce spectacle en ridicule. Ces deux généraux sont mal venus à la cour depuis qu'on n'a plus besoin d'eux. » En note : « *Les sapeurs.» 9
La Gazette de France rend d’ailleurs compte de l’événement, mais de façon plus événementielle : « le sieur de St Pern donne à dîner à sa Majesté dans sa tente près de Compiègne après avoir fait faire devant elle l’exercice à son régiment ». 10
Les grenadiers de France sont de nouveau sollicités pour des expérimentations au camp de Nancy, du 1er au 30 aout 1754 : avec les volontaires royaux ils sont ainsi chargés de tester de nouvelles manœuvres et un essai de légion proposés par le chevalier de Rostaing :
« Mai 1754 — L'on veut essayer en Lorraine, avec les grenadiers de France et les grenadiers royaux, un projet de légion romaine, qui sera de dix mille hommes. L'on abolira la division par brigades. Ces légions seront composées de quatre régimens de quatre bataillons chacun. Il y aura un général légionnaire, avec 12000 livres d'appointemens. On les prendra dans les lieutenans généraux. Tous les officiers passeront, par l’état- major, pour les accoutumer aux détails. Les vieux soldats, au lieu d'aller aux Invalides, seront faits grenadiers à cheval. M d'Hérouville lieutenant-général, et fort studieux des antiquités, a persuadé cette innovation par ses recherches. Les Romains battoient certainement leurs ennemis; mais nous sommes toujours François par nos innovations. » Le Maréchal de Belle-Isle rendit compte à l’issue au ministre que ces propositions n’étaient cependant pas concluantes.
En 1756, les tensions entre la France et l'Angleterre entrainent un déploiement de troupes tout le long des côtes. Le régiment est ainsi envoyé à ROUEN et participe au camp de Dieppe où les Grenadiers de France semblent s’exercer à des manœuvres combinées comme l’anecdote suivante relative au capitaine de La Ferrandiere le laisse penser : « Lorsqu’il était à DIEPPE, se trouvant un jour en rade avec plusieurs grenadiers sur un bâtiment, l’un deux tombe à la mer chargé de son fusil, sac, giberne, etc. La Férandière offre aussitôt sa bourse et sa montre au matelot, bon nageur, qui voudra le sauver, mais la mer étant très forte, tous refusèrent. Alors La Férandière n’écoute plus que son humanité ; il se jette à la nage et parvient, après de nombreux efforts, à retirer cet homme, malgré le poids de ses armes ; il le ramène à bord au grand étonnement des matelots qui disent tous qu’ils n’auraient pas voulu pour des millions se risquer par un aussi gros temps… ce grenadier a fait la guerre avec lui depuis ce temps. » 11
Le lieutenant de police de Nancy, Durival, évoque régulièrement les exercices du régiment:
12 mai 1765: revue à 8 heures du matin à la Garenne des 4 brigades du corps des grenadiers de France, tous avec l'habillement neuf.
21 mai 1765: à dix heures du matin, les 4 brigades du corps des grenadiers de France étaient sur le pré, dans une même ligne. On a exercé au feu, le prince duc des Deux Ponts est arrivé de Lunéville allant à Paris et a été présent jusqu'à la fin. C'est lui qu'on a salué en défilant. On a d'abord tiré par compagnie, par deux, par trois compagnies, par brigade; ensuite le feu de billebaude. Tout était fini à onze heures et demie. Le temps était clair et le vent un peu à l'Est.
1er juillet 1765: grand exercice dans la prairie des 4 brigades des grenadiers de France.
En temps de paix, les officiers s’efforcent naturellement aussi de faire vivre et d’animer la morne vie des garnisons de province. La visite d’hôtes de marque est bien entendu l’occasion d’organiser des réjouissances, mais le théâtre et les bals sont les principales sources de distraction.
Lors de la visite du duc de Chartres en septembre 1769 le programme est ainsi le suivant : « Le soir grand souper chez le comte de Stainville. Le 19 il assiste aux manœuvres du corps des grenadiers de France puis se rend au spectacle accompagné des officiers des différents corps. Après le souper danse jusqu’au matin. La journée du 20 est consacrée aux manœuvres de la cavalerie et se conclut par un bal chez le comte de Stainville » .12
Le théâtre est alors dans toutes les villes de garnison un lieu de distraction privilégié pour les officiers, ce qui conduit régulièrement à quelques incidents car, à l’instar des autres régiments, les grenadiers de France ne sont pas en reste : « les officiers de la garnison qui étaient les principaux abonnés, prenaient souvent parti, avec véhémence, pour telle ou telle danseuse, et l'un d'eux, le 1er mars 1764, réclama avec une grande vivacité une représentation à bénéfice en faveur de mademoiselle Fossonnier, 1ère étoile; il fallut l'intervention énergique du colonel et toute la souplesse du Lieutenant général Durival pour calmer le différend qui en résulta entre M.M. les officiers et M.M. les comédiens. [Note:] « M. de SURIREY, capitaine aux Grenadiers de France, souffleta à ce propos le sieur Frédéric, maître de ballet. » 13
Le capitaine Pierre de SURIREY
« Le régiment des grenadiers de France étant à Rouen, les officiers ont voulu, pour leur amusement, profiter des comédiens qui jouent dans cette ville; à Paris il y a toujours une garde des gardes francoises à la Comédie et à l'Opéra, et ce même usage s'observe dans toutes les villes où il y a des spectacles; la raison en est que la jeunesse qui est dans les régiments pouvant exciter quelques troubles dans les spectacles, une garde militaire est plus propre à se faire respecter par cette jeunesse qu’une garde bourgeoise. La ville de Rouen, qui n'étoit pas dans l'usage d'avoir des troupes, employait pour sa garde ce que l'on appelle la Cinquantaine, qui est une garde bourgeoise qui devroit être de ce nombre et qui est aujourd'hui réduite à près de moitié. Cette garde est aux ordres du premier président. Les grenadiers de France ont voulu envoyer une garde à la Comédie; le président l'a trouvé mauvais et a dit que c'étoit aller sur ses droits. On a écrit ici et la réponse a été en faveur des grenadiers de France : sur cela le président a pris le parti de défendre aux comédiens de jouer.
[Note:] L'affaire a été accommodée depuis, en attendant une décision, et les comédiens ont recommencé a jouer la semaine de la Passion, ce qui ne se pratique point à Paris, mais est en usage à Amiens. Les grenadiers de France envoient une garde et des officiers; la Cinquantaine envoie la sienne avec des armes, et les grenadiers de France leur ôtent leurs armes; malgré cela, cette garde bourgeoise reste à la comédie. » 14
Preuve encore de cette vie de garnison vivante, ces deux extrait des mémoires bien connus de madame de GENLIS qui témoigne de deux façon différentes à plusieurs années d’intervalle : « Dans les derniers jours de novembre [ ], M. de Genlis me conduisit à l’abbaye d’Origny-Sainte-Benoite, à huit lieues de Genlis et à deux de Saint-Quentin. Je devais y passer quatre mois ; c’est-à-dire, tout le temps que mon mari resterait à Nancy, où se trouvait le régiment des grenadiers de France, dont il était l’un des vingt-quatre colonels. Me trouvant trop jeune pour m’emmener à Nancy et pour me présenter dans une cour qui passait pour être très licencieuse, malgré la piété, les vertus et la vieillesse du bon roi Stanislas, M. de Genlis pensa avec raison qu’il était plus convenable de me laisser dans un couvent[…] D’ailleurs, dans ce temps, il n’était pas du tout d’usage que les femmes suivissent leurs maris dans leur garnison. Madame d’Avaray, sœur de madame de Coislin, est la première qui, trois ou quatre ans après, ait donné cet exemple, qui fut très critiqué et qui n’a jamais été universellement suivi.» 15
« Nous allâmes, M. de Genlis et moi, à Arras, où étoit le régiment des grenadiers de France. Le comte de Guines (depuis duc de Guines) y avoit une superbe maison qu’il me prêté. J’y restai trois semaines, je m’y amusai beaucoup ; on m’y donna de charmantes fêtes. Les officiers des grenadiers de France jouèrent pour moi la comédie sur le théâtre de la ville ; on me donna des bals parés et masqués. » 16
Un peu plus tard, en 1767, un voyageur étranger, Alessandro Maria Antonio Frixer, dit FRIDZERI, violoniste et compositeur aveugle d'origine italienne, témoignait de son passage dans la garnison d’ARRAS et de l’impression qu’il en avait recueillie: «à la table des Grenadiers de France... 24 colonels...et les dames !» 17 S’il ne s’agit pas d’une exagération de l’auteur, la réunion des 24 colonels devait néanmoins être assez exceptionnelle.
Autre témoin des mœurs du temps, les vers reproduits ci-dessous et adressés au Prince et à la Princesse de Loevestein, à l’occasion et en remerciement de la fête qu’ils donnèrent aux grenadiers de la compagnie de Foucault dans laquelle leur fils, âgé de sept ans, sert en qualité de volontaire.
« Sur l’AIR : du veaudeville de Tom-Jones :
CHASSER l’ennui, le chagrin, l’humeur noire ;
Etre toujours joyeux, content :
Sçavoir aimer, se battre, vaincre & boire, D’un grenadier c’est le talent.
D’un Roi chéri, défendre la querelle ;
Faire triompher ses drapeaux,
Quand Mars à la gloire l’appelle,
Tout grenadier est un héros.
Honneur au Prince, à la Princesse aimable
Qui donnent à Mars un nourrisson.
Est-il pour nous plaisir plus délectable
Que de l’avoir pour compagnon.
A sa santé, tous ensemble il faut boire ;
Car, dans l’art que nous lui montrons,
Bientôt animé par la gloire,
Il nous donnera des leçons. » 18
Mais la vie de garnison est aussi marquée par le service, notamment le service d’honneur dû aux visites d’autorités ou de personnages importants. On relève ainsi dans la Gazette de France les quelques événements suivants :
-22 septembre 1768 : le cœur de la reine arrive de Toul à Nancy pour être déposé dans le caveau du roi de Pologne à l’église de Notre-Dame du Bon Secours. La procession du cortège se fait entre deux haies de grenadiers de France.
- 15 décembre 1768 : le roi de Danemark est reçu par le comte de Choiseul, Commandant de la Province. Le 16 il passe en revue les grenadiers de France et va visiter les nouvelles casernes.
- Le 18 septembre 1769, visite du Duc de Chartres à Nancy. Celui-ci descend de son carrosse à l’entrée de la ville et la traverse entre deux haies de grenadiers de France de la Porte Saint Stanislas au palais du Gouvernement.
- 28 septembre 1769 : le duc de Choiseul visite Nancy, fait manœuvrer les grenadiers de France et visite les casernes ainsi que le nouvel hôpital militaire.
- 9 Mai 1770 : visite de Mme la Dauphine. Les grenadiers de France forment la haie d’honneur à son arrivée puis à son départ.
Enfin, un dernier aspect de la vie de garnison qui mérite d’être évoqué, l’affiliation à la franc-maçonnerie. Malgré sa condamnation par le Pape en 1738, la franc-maçonnerie se répand en effet particulièrement au sein des élites françaises, le pouvoir royal manifestant à ce sujet une certaine complaisance. Le manque de distraction de la vie de garnison est ainsi souvent un moteur pour faire rejoindre ces loges qui au départ présentent cependant plus la forme de clubs associatifs, dans lesquels les officiers se regroupent autour de leur chef, contribuant à l’esprit de corps, et au sein desquels la pratique de la bienfaisance et de la musique prennent le pas sur la mystique maçonnique. Ces loges militaires furent fréquemment à l’origine de la promotion de la franc-maçonnerie en province. Naturellement, compte tenu de l’origine sociale de ses officiers, le régiment des grenadiers de France n’est pas en reste et les officiers y constituent en octobre 1762 une loge intitulée « Les Enfants de la Gloire » 19. Notons que le comte de Choiseul-Stainville qui en est le « Vénérable » est d’ailleurs aussi « Grand Inspecteur » et « Grand Elu » au sein de la Grande Loge de France.
1- En avril 1756, le régiment des grenadiers de France étant à Rouen, l’hôpital général qui se voit imposer d’accueillir les militaires en garnison se plaint du trop grand nombre de soldat, notamment issus des Grenadiers de France, qu’il faut soigner pour maladies vénériennes (Histoire De l'Hôspice-Général de Rouen 1602 -1840 , Docteur François Hue, Rouen, A. Lestringant, 1903, p.77).
2- Archives de la ville de Nancy, Lettre reproduite dans Les grenadiers de France à Nancy-1752, Carnet de la Sabretache, décembre 1893.
3- Ibid.
4- La vie musicale en Lorraine (Metz, Nancy et Toul, 1770-1810) - De L’originalité provinciale à l‘uniformité française, René Depoutot, Thèse de doctorat, Faculté des lettres & sciences humaines de Metz, volume 1.
5- Lettre Signée, vendue le 20 juin 2006 par Auction.fr.
6- Voyage de Paris à Besançon par Strasbourg et retour à Paris par Mademoiselle de Mortemart, Mlle de MORTEMART, 1769, Manuscrit, Bibliothèque Mazarine, MS 1545, Fol 8r- Fol 8v.
7- Les archives de Nancy, ou documents inédits relatifs à l’histoire de la ville, Henri Lepage, Volume 3.
8- Mémoires autographes de M. le prince de Montbarey:ministre secrétaire d'état au Département de la guerre sous Louis XVI, Paris, Alexis Eymery & Rousseau, 1826, Tome 1, p.132.
9- Mémoires et journal inédit du marquis d’Argenson, Ministre des affaires étrangères sous Louis XV, publiés et annotés par M. le marquis d’Argenson, Paris, Gallanar, 1857, T. III, p. 344.
10- Gazette de France - 16 juillet 1750.
11- Mémoires de la Société des lettres, sciences et arts de Bar-le-Duc, Tome 44, 1922-1923, p. 270.
12- Gazette de France-Septembre 1768.
13- Mémoires de DURIVAL, Lieutenant Général de police de Nancy, extrait reproduit dans Histoire de Nancy, Charles Pfister, Vol. 3, p.631.
14- Mémoires du duc de Luynes, Avril 1756.
15- Mémoires de madame de GENLIS, chap. VII –1764.
16- Ibidem, chap. VIII –1765.
17- Manuscrit inédit vendu aux enchères le 20 avril 2007 par Enchères ALDE PARIS.
18- Reproduit dans le Mercure de France - Décembre 1769.
19- 28 octobre 1762, délivrance d’une patente au comte de Choiseul-Stainville pour la création d’une loge ; cité dans Histoire de la franc-maçonnerie en France, J.A. Faucher & A. Ricker, Nouvelles éditions latines, Paris, 1967, p.101.